Retrouvailles

Référence: 
D23
Remarque: 
La scriptrice aveugle D23 décrit un environnement familier uniquement par ce qu’en entend son personnage.

Enfin de retour ! Lucie posa sa canne blanche et sa veste dans l’entrée, tira sa valise jusqu’à la chambre et se précipita vers la fenêtre. Dès qu’elle l'ouvrit, le printemps vainqueur lui sauta au visage. Dans le jardin triomphait le parfum du tilleul en fleurs. Déjà ! Évidemment, quinze jours d’hôpital et un mois de maison de repos... Cette année, elle avait manqué le lilas, mais le merle et le rossignol des murailles étaient bien là. Elle étendit ses bras nus et renversa la tête en arrière, offrant sa peau à la caresse du soleil et de la brise. Elle revivait !

Elle écoutait et reconnaissait avec bonheur ce paysage familier. Devant elle, en contrebas, s’étendait la sourde rumeur de la ville. Au premier plan s’étageaient les jardins pleins d’arbres et d’oiseaux. Sur ce vaste concert de pépiements se détachaient des cris, des rires d’enfants, et là, tout près, l’inlassable chant du merle qui nichait dans l’arbre voisin. Avec un sourire, elle suivit, au flanc de la colline, les sinuosités sonores et intermittentes de la route. Puis, là-bas à gauche, émergèrent la cathédrale et son puissant carillon. Un soudain silence. Et elle perçut l’intarissable ruissellement du tremble dans les légers remous du vent, la stridulation d’un grillon et le grincement de la grille que l’on ouvrait. Puis ce fut un avion qui élargit immensément l’espace et, pour elle, dessina un fugitif horizon. D’un même élan, son cœur bondit, emporté par une confuse espérance.

Brusquement, un hurlement rageur brisa ce bref instant d’harmonie. La débroussailleuse du voisin ! Elle soupira, contrariée. Mais avant de fermer la fenêtre, elle huma la senteur verte des herbes fraîchement coupées. Elle inspira encore profondément l’air doux et parfumé. À présent, derrière le tilleul, elle distinguait, l’odeur de foin des pelouses tondues la veille et par instants les effluves délicieux de la glycine. Ce soir, quand le monstre se serait tu, elle irait s’asseoir dans le jardin... Il serait de retour lui aussi et elle se promettait de passer un merveilleux moment avec lui.