En très peu de temps, je fus capable d’identifier chacun des sons que je percevais. Mon intérêt pour eux se tarit, et avec lui mon bonheur. Mon attention tenta désespérément de se fixer sur la réalité extérieure et non plus sur ces sons qui résonnaient dans ma tête, mais ils ne me laissèrent pas le choix et je fus dès lors tout à fait incapable de me concentrer plus de quelques secondes sur autre chose. Je me souviens bien de mon dernier jour d’école.
Sœur B. l’institutrice se plante devant moi : vous rêvassez. En fait, j’écoute les cheveux qui se détachent de son cuir chevelu déjà clairsemé, mais je préfère répondre : oui madame. J’entends vingt-cinq gorges qui déglutissent. Sœur B. fulmine, je vais avoir du mal à trouver verbe plus fort pour la suite, mais c’est qu’elle fulmine vraiment : de l’insolence ? Je crois que ce n’est pas vraiment une question, des dents qui claquent me déconcentrent, mes camarades sont bien plus terrorisés que moi : non ma sœur. Finalement l’institutrice résout mon problème de vocabulaire, vingt-cinq respirations reprennent de concert, elle ne sublime pas la fulmination, les tissus se froissent, son visage retombe et sa lèvre fait floque, les chaises grincent comme si elles regrettaient le retour au calme. L’éruption qui aurait dû me ravager n’a pas lieu.
Sœur B. sort sa langue : dehors ! Mais j’écoute sa flore intestinale râler. Elle fait les gros yeux, j’entends ses paupières baver. Elle m’attrape par le col pour me mettre à la porte, mais c’est trop tard, même sur cela je ne peux pas me concentrer. Même sur cela je n’ai pas pu me concentrer. J’ai entendu les tissus, la peau qui se froisse, l’air qui fuit, le sol qui résonne, les muscles qui raclent, les articulations qui bruissent, les synapses qui crépitent…
Je me suis retrouvé dehors, la porte a claqué, les fibres du bois ont tremblé, les cheveux d’Alice ont frémi.