À nos amis qui n’ont pas la possibilité de la voir, la Deux Chevaux, ou pour ceux qui l’ont connue, peut se vivre par les sens. A commencer par le toucher.
Imaginez quelque carrosserie métallique, froide, ronde de partout, de petite taille mais qui peut tout de même prendre en charge quatre personnes. Elle a la forme d’un œuf coupé en longueur avec les rondeurs sur le dessus. Ajoutez quatre roues amincies supportant le tout. Le capot rond rétréci à l’avant a cinq grosses nervures sur sa longueur, les roues avant sont couvertes par des ailes arrondies à souhait, celles de l’arrière enrobent totalement les jantes. Ses flancs sont ronds en leur milieu, entre les deux portes, point le plus haut, celle de derrière est un quasi demi-cercle. Du pare-brise plat incliné à quarante-cinq degrés, le toit part, monte au milieu puis descend en plongeant sur la lunette arrière plate. Jusqu’au coffre, la ligne de la voiture descend en formant une pente douce. Ses phares vous évoqueront deux moitiés d’œufs d’autruche et les feux arrière un carré de plastique rugueux. Maintenant que la présentation est faite, vous embarquez à l’arrière. Vous saisissez une poignée en aluminium en forme de demi-cercle, vous la poussez à fond vers le bas. Poussez fort ! Votre portière épaisse comme une crêpe s’ouvre, laissant apparaître le siège. Attention à la sensation de hamac : il est suspendu, ainsi ne toucheront pas le sol les pieds des gens petits, ce qui fut mon cas. Après vous être hissé dessus, vous tâtez un instant son tissu synthétique, il est très fin, un brin moelleux, s’adaptant au gabarit de l’occupant, seulement prenez garde que vos ongles n’y fassent des entailles. Vous vous dites que vous êtes, pour l’instant, à l’aise, si ce n’est un rectangle de plastique sous vos pieds, qui vous gêne. Ne le piétiner pas, on en a besoin, de cet écran de calandre qui traîne ici. Tel un cache-nez, il se place devant le moteur afin qu’il ne prenne pas froid l’hiver, un peu comme pour vous. Fermez la porte, c’est-à-dire, étendez la main, cherchez l’encoche en plastique sous la vitre, enfoncez-y trois doigts, tirez, le tour est joué. Puis votre main glisse sur la texture plastifiée de type “ peau d’orange ” du panneau de porte. Votre main abaisse le levier de verrouillage récalcitrant qui veut bien se laisser faire. Puis vous découvrez les lieux. Une vitre froide bordée d’un gros joint de caoutchouc qui la tient solidement, et autour de vous une matière familière, non ce n’est pas un manteau d’hiver en laine, mais du feutre garnissant l’habitacle. On ne sent que très peu la tôle froide bordant le pourtour des fenêtres. Vous vous dites que vous n’aurez pas froid, et pourtant question isolation… Vos mains montent en haut, comme si elles cherchaient s’il y a bien un toit. Mais oui ! Vous sentez un tissu très tendu, genre toile cirée bon marché, ça vous rassure, il ne pleuvra pas dedans. Enfin, question étanchéité… On vous laissera juger. En attendant vous posez vos mains sur la banquette avant, confortablement installé, si ce n’est le peu d’espace réservé à vos jambes. Des repères tactiles vous indiquent que tout va bien pour le moment.
Dès le contact mis, un démarrage sonore surprend le non-initié que vous êtes, vos oreilles sont soumises à rude épreuve. Satané démarreur ! Un bruit infernal, perçant, insoutenable, envahit l’habitacle, genre petite turbine d’avion ULM. Déjà vous voulez descendre, mais trop tard, la porte est fermée. Résigné, vous attrapez votre ceinture, si vous n’étiez pas assis dessus, et vous la serrez bien fort. Clic ! Ajustez bien la sangle sur le ventre. Après cela, le conducteur chauffe le moteur en donnant des coups secs d’accélérateur qui restent autant de coups de couteau aigus dans vos oreilles, mais rassurez-vous personne n'est devenu sourd en deux pattes, malgré les échos dus au garage souterrain. Un craquement puis un à-coup vous indiquent que l’on a embrayé, la terrible machine se met à reculer. Un deuxième craquement sec signifie passage en première. Vous sentez que quelque chose ne vas pas, le sol semble se dérober sous vos pieds, c’est normal. Les défauts de la route se traduisent par de grosses secousses, la suspension vos rappelle les promenades en landau, dès que la route remonte, on ralentit, la voiture souffre, hurle. Puis la vitesse augmente, vous êtes projeté sur le dossier, comme dans une machine à laver, vous sentez les parties métalliques qui tremblent. Pourvu qu’elle ne tombe pas en morceaux !
Le conducteur vous parle depuis un moment mais vous n’entendiez rien. Il s’énerve, normal, puisque le régime moteur couvre toute vie à bord. D’ailleurs impossible d’évaluer le niveau en décibels, sinon en ressentant les portes qui tremblent à cent kilomètres heure, un bourdonnement de vos oreilles vous l’indique. Vous restez donc silencieux, et vous pensez que de toue façon cela vaut mieux, car même l’autoradio serait inutile dans ce vacarme si particulier. Vous connaissez maintenant la grandeur du moteur bicylindre. Mais les qualités de la route imposent alors un ralentissement. Grâce à une suspension souple pour ne pas dire molle, vous sentez que vous plongez en avant, heureusement votre ceinture vous retient, elle sert trop votre ventre. Il s’en souviendra… Nerveux, vous grattez avec vos doigts le panneau de porte en plastique, ce qui agace le chauffeur. N’y a-t-il donc pas assez de bruit à bord ! Cramponnez-vous plutôt à la banquette avant, elle est là pour ça. Pourtant, cela ne va pas mieux, les bosses, les nids de poules vous donnent le mal de mer, vous vous rappelez tout à coup des promenades en bateau sur une mer agitée. Ce devait être il y a deux ans en Bretagne. Votre corps ne fait pas la différence. Et pas le moment de rendre votre petit déjeuner sur le siège. Autant de dos d’âne qui sont à la Deux Chevaux ce qu’est une zone de turbulence à l’avion. En attendant vous donneriez beaucoup pour faire taire ce petit moteur poussif et … peu discret.