Ma main qui tenait compagnie à sa jumelle sur le jean râpeux recouvrant mes cuisses s’aventura sur le banc. Elle partit à la quête d’indices, partit confirmer une supposition. Le bois sans vernis semait une forêt d’échardes. Parfois, l’encre d’un marqueur activiste dessinait des messages d’amour ou d’anarchie. Mes doigts parcouraient ce monde miniature, peuplés de slogans et d’insectes. La moiteur d’une pluie datant d’un jour ou deux trompait ma paume. Le bois semblait spongieux lorsque je l’effleurais, mais quand je tentais d’y enfoncer les phalanges, il s’entêtait à s’affermir. Mon majeur rencontra le premier une mousseline souple. Puis tous mes doigts reniflèrent le tissu. Ses doublures de tulle, ses broderies en fil de soie et ses jupons de coton sculptaient une œuvre d’art. Je glissai une main entière dans l’étoffe qui piquait de mille nuances chaque centimètre de ma peau. Exécrant l’égoïsme, cette main partageuse appela sa sœur ainsi que mon visage. Tous trois valsèrent joyeusement dans les vagues, dans les vapeurs du textile séducteur.
Ce ne fut pas un insecte qui m’arracha à la fantasmagorie, mais une peau prosaïque, et bien trop réelle pour ne pas faire de moi un malade ou un pervers. Les frissons de l’épiderme violenté par mes gestes gauches peignaient une chair de volatile. Mes doigts zieutèrent les boursouflures minuscules et régulières qui étaient comme des papilles. Ma langue réveillée par l’allusion, força le portail de mes lèvres, et goûta la peau enivrante. Mes souvenirs gustatifs firent jaillir de mon cœur des torrents d’eau de mer, ancêtres des gels-douche aux parfums arctiques, des gâteaux aux pâtes épaisses, pays des lisses amandes, des grimaces de citron, semblables au piquant du savon, des allaitements mielleux, symbole de l’enfance et de la peau sapide renaissant chaque matin. Puis seule la saveur amoureuse de ma propre salive émoustilla mon cerveau.
Je remontai alors, penaud et coupable, mais rêveur et béat, la jeune fille végétale, aux cheveux feuillus et à la respiration d’oisillon. Mon front heurta son menton, mon coude son jeune sein. Elle n’entendit pas la douleur et accepta mon visage dans le creux de son cou pour excuse.
Ma main tremblante d’excitation escalada ma bouche, mon nez, mes oreilles pour arriver au niveau des yeux, et commença à dénouer le bandeau. J’avais promis de ne pas l’enlever, mais l’étrange des rencontres comme celle-ci occulte les puérils paris fraternels. Sa main s’interposa et emporta mes cinq doigts vers sa nuque adolescente, laissant les yeux sous le rectangle de tissu opaque, voilés d’une cécité artificielle. Elle était belle.